Il faut aller à la rencontre de ce grand peintre allemand, né en 1941, qui sort de l’après-guerre et de son sentiment de désastre, pour recréer l’éternité de l’art. Scénographie superbe et contemplation.
Markus Lüpertz n’est pas un inconnu à Paris. Il suffit, pour le vérifier, de dîner en ville et de le voir accroché en belle place chez les vrais amateurs de peinture. Lors de l’exposition des 900 œuvres de la «Collection Michael Werner» au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en 2012, ce peintre vigoureux, empreint de classicisme et de sculpture antique, était largement représenté. Sur les 127 œuvres que le grand galeriste allemand a alors données au musée parisien, 31 étaient signées Markus Lüpertz.
À l’automne dernier, la pétulante galeriste française d’origine ukrainienne, Suzanne Tarasiève, a montré sa «Promenade» entre peinture et sculpture, en préambule à la rétrospective qui se déroule comme un beau fleuve tranquille dans les volumes Art déco du musée. Déjà, le blanc des cimaises magnifiait la marche de cet artiste singulier qui ne cesse d’explorer, depuis 1963, tous les moyens de la peinture. C’est de ce présent toujours chercheur (deux œuvres achevées en 2015), très abouti dans sa réinterprétation permanente d’un même motif, qu’est partie fermement Julia Garimorth, jeune commissaire autrichienne, déjà à l’œuvre lors de l’exposition pléthorique de la «Collection Michael Werner». Depuis, l’idée d’une sélection s’est imposée. Les 140 tableaux, sculptures et dessins aident à remonter dans le temps, partent du parc champêtre où Achilles semble marcher, entre bouleaux et peupliers trembles, depuis l’Antiquité, pour revenir aux débuts, à ces «Peintures dithyrambiques» qui exagèrent l’objet banal du quotidien et en font un monument.
Un théâtre de réminiscences
Vu la taille des tableaux et la présence forte des sculptures, souvent fragmentaires comme resurgies, plus fortes, d’un désastre oublié, il fallait un sens certain de la chorégraphie. L’espace autour de chaque œuvre doit être respecté, comme un cercle de gravité, pour que l’œil l’appréhende, la contourne, la soupèse, s’en étonne et puis l’accepte. Un cheminement par ricochets, une valse lente quasi amoureuse, que la scénographie réussit avec ses cimaises en arc-de-cercle, ses murs ocre comme l’ocre des statues figurées plus loin dans le cadre, comme l’ocre qui macule le visage des bronzes en mouvement. Il y a des femmes, athlétiques à la taille fine et à la tête petite. Il y a des hommes spectres aux orbites creuses de statue qui vous toisent ou regardent l’horizon au loin. Il y a des arbres et des ruines. Tout cela forme un théâtre de réminiscences plus qu’un récit, «tant Markus Lüpertz se voit d’abord comme un peintre abstrait». Plus qu’une série, ce sculpteur de la peinture fait des variations comme sur une partition musicale. C’est, sans doute, cette harmonie sourde qui, par-delà certains contrastes chromatiques intenses, certaines brutalités frontales, donne à cette «rétrospective» ce parfum d’antan, cette idée d’éternité. Très vite, le cœur s’apaise. On retrouve le plaisir de regarder, ce goût si spécial de la peinture qui résume en deux dimensions tout le propos du monde.