Comment aborder un géant de la peinture, allemande qui plus est, sans tomber dans les associations simplistes, les lectures trop historiques et les redites? Sculpturalement, répond Julia Garimorth, commissaire de l’épopée Markus Lüpertz au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Achilles, énorme bronze peint de 2014, ouvre le pas d’une rétrospective puissante en 140 peintures, souvent monumentales, sculptures défiant la peinture et dessins croquant l’instant présent. Elle dresse le portrait vif d’un peintre né dans l’après-guerre allemand, l’un des fleurons de sa révolte artistique ( A.R. Penck , Georg Baselitz, Jörg Immendorff). « Pour Lüpertz, tout commence chaque matin», dit cette attentive, tout à l’écoute de son grand homme.
Avec un beau sens théâtral, la jeune commissaire autrichienne pose son sujet en trois temps, dès le hall écrasant du musée à l’architecture Art déco. Le corps fragmentaire. L’idée d’une sculpture qui se débarrasse du superflu pour ne garder que son essence et tendre vers l’abstraction. La peinture sur le bronze qui fait le lien entre les disciplines académiques, avec une vie entière d’atelier et de pinceaux. Voilà Markus Lüpertz, 74 ans et un tonus d’athlète, qui se lève du socle pour reprendre, comme ses créatures entre mythologie et monde moderne, la promenade des statues d’un parc. En l’occurrence, celui de Spoleto en Italie dans les années 1990. Cette vision champêtre où le vert sourd insiste donne le ton, celui de la nature et de sa campagne de Märkisch Wilmersdorf.
Comme l’artiste, l’exposition regarde l’avenir. Avec elle, on avance dans la vie de Markus Lüpertz en partant de la fin pour découvrir les audaces superlatives de sa jeunesse et ses fameuses Peintures dithyrambiques. La sculpture, ces fantômes si incarnés, parfois simplement en un torse comme chez Rodin, sont les guides de ce peuple de tableaux qui lui répondent. Dans la première salle consacrée à l’Arcadie, Ulysses nous tourne le dos et ouvre la perspective sur les trois tableaux où son visage réapparaît. Lorsque l’on contourne ce bronze compact et que l’on découvre son visage peint, le regard sur les toiles s’inverse. Cette suite est une partition que le visiteur est appelé à jouer.